Vie privée, vie publique, quelles frontières ?

 

Depuis quelques années, les deux espaces traditionnellement bien séparés dans lesquels nous nous mouvons, espace privé et domestique d’un côté, espace public et social de l’autre, n’ont cessé de voir leurs frontières se brouiller, au risque de ne plus pouvoir être aussi nettement distingués qu’auparavant.

 

On assiste d’abord à une privatisation continue de l’espace public. C’est particulièrement vrai dans le champ politique avec cette personnalisation croissante de la vie des femmes et des hommes politiques. Avec la mise en scène plus ou moins maîtrisée de leur vie personnelle ou familiale, les scoops dérobés par les paparazzi sont maintenant le plus souvent remplacés par des reportages directement commandités par les acteurs politiques eux-mêmes et destinés à une presse people très contrôlée. Ils mettent en scène les femmes et les hommes publics dans le cadre d’une intimité fabriquée par les agents de communication dans le but de convaincre le public de la proximité de leurs intérêts communs.

 

Inversement, on remarque aussi une publicisation de l’espace privé. De parfaits inconnus nous délivrent ainsi avec force détails leurs préférences personnelles ou leur intimité, par le biais des médias traditionnels ou numériques, tels que les réseaux sociaux, des « anges de la téléréalité » aux post facebook ou instagram, en passant par les instantanés de « vie » délivrés sur snapchat ou tik tok. Tout cela aboutit à un profond brouillage des repères habituels qui structuraient les différents espaces de la vie en société.

 

La diversification des modes de communication et leur appropriation par tout un chacun, fait que l’on finit par perdre le sens de ce qui relève de l’espace intime dévoilé au grand jour ou du manifeste public personnalisé et individualisé. Ce qui peut nuire grandement à la sécurité des individus. Plusieurs exemples tragiques nous l’ont montré ces derniers temps, comme les affaires de harcèlement cyber en « meute », en passant par le déferlement de violence lors de l’affaire Mila. D’autres effets sociaux peuvent être aussi redoutés. Ces deux mouvements, de la privatisation de l’espace public et de la publicisation de l’espace privé, ne nous transforment-ils pas à la fois en exhibitionnistes de notre propre vie et en voyeurs de celle des autres ? Et la réduction du débat public à l’expression de simples préférences personnelles médiatisées sur les réseaux sociaux, ne privilégie-t-il pas l’expression de la subjectivité de tout un chacun, aux dépens de la dimension publique du vote comme acte de préférence collective ? L’individualisation toujours plus poussée que cet effacement des frontières entre le privé et le public suppose ne contribuera-t-il pas enfin à la dissolution des solidarités collectives ? En faisant de l’espace public partagé la seule scène de nos vies exaltées et réinventées, n’est-ce pas la notion même de vie en commun qui est alors interrogée ?

 

Valentine ZUBER

Présidente du Conseil scientifique

des Entretiens d'Auxerre

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